Il y a un peu plus d’un an, Carla Bruni a déclaré dans une entrevue avec le magazine Vogue qu’on n’avait «pas besoin d’être féministe dans [sa] génération». Venant de l’ex-première dame française, vous pouvez imaginer l’indignation générale qu’ont suscitée ces mots dans la sociosphère militante. Néanmoins, la femme de Sarkozy est loin d’être la seule de l’avis que le féminisme soit dépassé.
Confortablement assises sur notre droit de vote, notre (semblant de) place sur le marché du travail et notre contraception, il est facile d’oublier que le combat est inachevé. On nous remet constamment en pleine face notre privilège nord-américain, et j’avoue qu’à côté de femmes brûlées à l’acide, on se sent assez puériles en critiquant les standards de beauté diffusés dans les médias. Il n’en est pas moins important de garder l’œil ouvert pour ces petites injustices quotidiennes, entraves aux efforts de notre société pour atteindre l’équité. Elles sont subtilement intégrées à la vie de tous les jours, mais une fois remises en question, leur ridicule fait rapidement surface.
Les blagues de sandwich et de SPM seraient-elles non seulement surutilisées, mais aussi profondément dégradantes par hasard?
Y a-t-il une raison particulière pour laquelle nous contribuons à l’ascension dans les palmarès de chansons misogynes comme «Blurred Lines»?
Qui donc a fait en sorte qu’un des pires déshonneurs pour un p’tit gars soit de se faire battre par une fille? Croyons-nous vraiment que l’orgueil machiste s’évapore à la fin de la récréation?
Est-ce délibérément qu’on ignore que la disparité salariale est toujours un enjeu, ici, chez nous?
Comment Hillary Clinton, alors secrétaire d’État américaine, a-t-elle pu faire scandale simplement en se présentant sans maquillage lors d’une visite au Bangladesh?
Est-ce qu’on peut vraiment vanter notre liberté quand il n’est pas jugé sécuritaire pour la moitié de la population de se promener la nuit?
Comment se fait-il qu’un homme qui s’affirme fasse preuve de leadership, mais une femme qui fait de même n’est qu’une bitch?
Qu’est-ce qui rend acceptable de dévoiler ses seins sur un panneau publicitaire, mais pas pour allaiter?
Est-il normal qu’on ne sourcille pas quand l’habillement de la victime d’un viol est pris en considération? Comme si sa part de responsabilité dans sa propre agression sexuelle dépendait de la longueur de sa jupe. Comme si elle avait une part de responsabilité.
Je pense qu’on peut tous s’entendre sur la rhétorique de ces questions, mais ça ne change pas l’aversion qu’ont la plupart des filles à s’étiqueter «féministes». C’est bien malheureux que le mot «féminisme» traîne une connotation aussi négative. Certains frémissent à son écoute, alors on l’évite, un peu à la Voldemort… ou devrais-je dire «Vous-Savez-Qui»? Au même titre que le nom du Seigneur des Ténèbres, la mention de Vous-Savez-Quoi entraîne des plissements de nez comme si le mot portait une odeur désagréable. C’est peut-être dû aux fâcheux stéréotypes liés à la lutte.
Les militantes sont perçues comme des lesbiennes pas épilées, condescendantes envers les mères au foyer et qui veulent la peau de l’entièreté de la population masculine. Pourtant, il n’y a rien de radical à Vous-Savez-Quoi : pour s’y associer, il suffit d’aspirer à l’amélioration des droits des femmes. Ouf! Merci Larousse, on s’identifie pas mal mieux à ça qu’aux Femens, n’est-ce pas?! À bien y penser, la grande majorité des filles doit être féministe à son propre insu.
Quant à Mme Bruni, je lui demanderais : qui peut croire que l’ère du féminisme est révolue alors que son concept même se base sur l’égalité des sexes? Cette ère est loin d’être conclue : elle n’est pas encore amorcée.
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