Le matin avait pourtant commencé de la même manière que tous les autres auparavant: tu t’étais levée après une quinzaine de minutes à laisser ton cadran crier sans lui porter une quelconque attention; tu t’étais brossé les dents face au miroir en te demandant comment tu allais faire pour passer un peigne dans cette tignasse; tu t’étais pesée… avec anxiété, peur et honte, tu t’étais pesée.
Puis la routine est embarquée.
Les calculs ont commencé.
Pour le déjeuner, on oublie le yogourt grec ou la tranche de pain, le nombre inscrit juste à côté du mot «calories» est bien trop énorme à ton goût. Tu regardes autour de toi, tu vois que ta mère a acheté des chocolatines. Ton déjeuner préféré. Ou plutôt, ton ancien déjeuner préféré, car bien sûr tu n’en manges plus. Ton regard dévie sur le plat de fruits posé sur la table et, sans réfléchir, tu prends une pomme avant d’enfiler ton manteau et ton sac pour aller à l’école.
Durant toute la matinée, ton attention est diminuée, tu n’écoutes pas, mais ce n’est pas parce que tu ne veux pas, oh non. Dès que tu essaies de te concentrer un tant soit peu, des chiffres te reviennent en tête et tu penses à ce que tu vas bien pouvoir manger pour dîner et tu penses à ce grilled cheese qui serait si bon, mais aussitôt la balance et de très très gros chiffres s’imposent dans ta tête et tu rejettes l’idée.
Pourtant tu vois toutes ces filles, ces très jolies filles, qui mangent sans se questionner, qui parlent avec leurs amies entre deux bouchées de muffin, qui sourient, qui ne semblent pas se soucier du chiffre en dessous de ce muffin. Et tu les envies.
Et la journée continue ainsi, comme à l’habitude, jusqu’à la fin de l’école.
Et je crois que c’est là que cette journée, qui avait pourtant commencé de la même manière que les autres auparavant, est devenue une autre sorte de journée. Une journée différente, qui ne rentrait pas dans la catégorie de toutes celles qui s’étaient écoulées au cours des derniers mois… Parce que cette journée-là, tu as choisi d’agir différemment.
Tu sais, ces choses qui nous donnent envie de vomir de stress juste à y penser, sont des choses qui nuisent à notre vie… Ce n’est sans doute pas un bon emploi pour toi si tu te ronges les ongles jusqu’au sang avant d’y aller et que tu espères à chaque minute de te faire couper pour terminer plus tôt… Ce n’est sans doute pas une bonne personne pour toi si l’idée de la voir secoue en entier ton estomac et enlève ton sourire…
Ce n’est sans doute pas une bonne chose si chaque journée de ta vie, tu penses à cette balance et au chiffre qui apparaîtra lorsque tu poseras tes pieds dessus, avec cette peur si grandiose qu’elle t’empêche de manger.
Bref cette journée-là, en rentrant chez toi, tu as englouti la chocolatine qui t’attendait sans peur, sans penser aux conséquences, sans t’imaginer la balance. Tu l’as mangée en pensant à ces autres filles qui mangeaient sans crainte et qui avaient l’air si heureuse alors que toi tu ne l’étais pas. Tu l’as mangée pour toi, parce que c’était auparavant ton déjeuner préféré.
Cette soirée-là, tu n’es pas montée sur la balance, oh non!
Tu l’as foutue aux poubelles cette maudite balance.
Photo: Flickr