C’est l’hiver. C’est le temps des tricots avec cols roulés et des pantalons. Pas beaucoup de peau à l’air, mettons. Pour un tas de filles, c’est un répit grandement attendu: l’occasion de mettre l’épilation sur pause. Mais pourquoi se l’infligent-elles le reste de l’année?
Contrairement à ce qu’essaient de nous faire croire les pubs de rasoir, quand une fille s’épile, ce n’est pas en paréo au pied d’une chute. Des jambes lisses, bronzées et huilées n’en résultent pas sur-le-champ non plus. En fait, on manque souvent des p’tites patchs de pouèls et selon la méthode de déforestation, notre peau peut s’insurger en prenant l’apparence de celle d’une poule déplumée. Pour certaines, c’est long, ça coûte cher, ça fait mal et c’est toujours à recommencer. Bref, ça gosse.
Nan mais sérieusement. On s’accorde seulement un time-out à condition que nos poils soient à l’abri des regards? Épargnons les autres de la vue de nos poils répugnants?
Il y a à peine un siècle, personne ne stressait pour ça. C’était avant que Gillette ait la brillante idée d’étendre le marché des rasoirs en s’inventant une nouvelle clientèle. Pour créer un marché du côté de l’autre moitié de la population, ils ont fait des pubs associant les aisselles velues à la malpropreté et pire encore… la virilité! **OUHHH** Être imberbe est dès lors devenu synonyme de féminité. Avant ça, les seules femmes qui se rasaient étaient les travailleuses du sexe… et c’était pour prouver qu’elles n’avaient pas de poux! Disons que les temps ont changé. On a été conditionnés à être répugnés par les poils. Ça a commencé par les aisselles et les jambes ont suivi. La porno a signé l’arrêt de mort de la touffe dans les années 90. Maintenant, on ressent l’urgence de faire disparaître même un duvet sur la lèvre supérieure, sur l’abdomen ou encore jusque dans le bas du dos.
De nos jours, il y a même des hommes qui prennent part à ce génocide du poil (on connait tous le dicton selon lequel couper le gazon fait paraître l’arbre plus grand). Des féministes joignent également leurs rangs! Rien d’étonnant dans tout ça: le mouvement cherche désespérément à se distancer de son image de militantes «castratrices». Les féministes qui se disent féminines empruntent un discours du genre «je me maquille, je porte des talons aiguilles et je me rase parce que c’est mon choix». Perso, je ne considère pas que la souveraineté sur son corps soit en jeu quand on est soumis à une telle influence sociétale. Impossible de mettre le libre arbitre sur la table quand tes deux options sont 1) t’épiler ou 2) être un objet de dégoût.
MAIS POURQUOI?
Nos cheveux, eux, sont une arme de séduction. On voue un culte à notre crinière! Quand elle aboutit dans le drain de douche, par contre, on n’ose même pas y toucher… mais ça, c’est une autre discussion à avoir entre colocs!
De retour à nos indésirables poils qui ont jadis été symbole d’érotisme. Bah c’est vrai, c’est ce qui distingue une préado d’une femme mature sexuellement non? Maintenant, afficher ses poils, c’est comme crier haut et fort: « Salut! Vous pouvez assumer que je suis gauchiste! Oui, oui, une ostie de carré rouge gratteuse de guitare!» Des poils, c’est devenu militant. Y’a juste des révolutionnaires pour se promener en short les jambes au naturel voyons.
C’est poche pour la fille qui ne cherche pas à faire son intéressante. Pas moyen pour elle de laisser son corps suivre son cours normal sans avoir à se justifier et devenir une tête d’affiche pour la cause. Elle se garantit des hoquets d’horreur, même de la part de ses amis. Et tout ça, c’est une fois qu’elle a eu le guts de vaincre sa propre honte. Quand t’arrêtes de te raser, il y a de fortes chances que tu te répugnes toi-même. C’est lourd. S’épiler prend du temps et du cash, mais ça coûte pas mal plus cher en assurance de ne pas le faire.
Je pense qu’on se sent agressé par la pilosité féminine parce que c’est une attaque directe à la conception commune de la femme. On nous a appris à associer l’image d’un corps lisse à la beauté. Un corps aseptisé, sans rides, sans cellulite, sans vergetures et sans poils. On nous fait investir dans plein de cossins au nom de la coquetterie ou même de l’hygiène, mais ça ne nous traverse jamais l’esprit que ça frôle parfois l’automutilation.
Au bout du compte, se soumettre aux standards, c’est contribuer à en faire des exigences. Dans mon monde idéal, on se rendrait la job facile, mais pour l’instant, tout ce que je demande, c’est qu’on prenne un p’tit moment pour se demander : c’est quoi notre problème avec les poils?