J’avais pris la peine de déposer mon pyjama au pied de mon lit. J’avais même tassé mes bottes de l’entrée pour être certaine de ne pas m’enfarger dedans à trois heures le lendemain matin. C’était écrit dans le ciel, pas besoin d’une boule de cristal pour savoir que mes capacités intellectuelles seraient amoindries à cette heure-là. C’était le 31 décembre pis la bière était un peu trop bonne…
Ce soir-là, le p’tit diable sur mon épaule a pris le dessus sur l’ange. Lucifer a pris le contrôle de mes doigts.
D’abord, ils étaient dociles. Mes pouces glissaient tranquillement des touches M ou I de mon clavier dans le but de remercier ceux et celles qui avaient encore la faculté de me souhaiter la bonne année.
Puis, au cours de la soirée, mes mains se sont insidieusement introduites dans mon sac à main et se sont emparé de mon téléphone. Comme ça, sans crier gare. Si j’avais pu les enfermer dans une cage, je l’aurais fait. Mes doigts se sont transformés en animaux sauvages prêts à dévorer chacune des lettres qui illuminaient mon écran.
Le prince des ténèbres a même fait parvenir son venin à mon cœur. Le liquide toxique a disloqué sans scrupules l’armure qui protégeait mon organe vital. Une dose d’affection impondérable a coulé dans mes veines.
Mes doigts se sont tout à coup dirigés vers ma page d’émoticônes. Quelques points-virgules accompagnés de parenthèses se sont insérés dans mes conversations vides de sens. Peuplés de clins d’œil mal placés et de «J’m’ennuie» mal écrits, mes textos n’exprimaient rien de cohérent.
Et si seulement ça s’arrêtait là.
Belzébuth estimait que mes doigts ne me causaient pas assez de tort. Sans doute croyait-il que les mots n’étaient pas assez puissants pour exprimer mes émotions. Il a donc jeté un sort à ma bouche aussi. Et là, j’ai touché le fond du baril. En parfaite harmonie, mon index et mes lèvres ont joint leur force. Ma liste de contacts a défilé devant mes yeux vitreux et j’ai composé un numéro de téléphone.
Chaque fois, c’est la même histoire. Au fond des bouteilles de fort se cache l’esprit du mal prêt à régenter tous mes membres.
Chaque fois, entre une et deux heures du matin, le cellulaire de quelqu’un vibre — ou pire sonne — après avoir reçu un message indécryptable.
Le lendemain, avec la gorge aussi sèche que le désert du Sahara et le cœur flottant sur une mer alcoolisée, j’ai posé les yeux sur l’arme du crime. C’est avec regret et avec honte que j’ai constaté les dégâts du diable.
Du coin de l’œil, j’ai cherché une pelle entre les autres murs de ma chambre. Elle pourrait m’être utile pour creuser le trou dans lequel je me réfugierai durant les trois prochaines semaines…
Le pire dans cette histoire, c’est que je n’ai même pas mis le pyjama préalablement déposé sur ma couette.