Il fait froid, le vent glacial mord ma chair à travers mon vieux manteau. Il a fait son temps le rouge parka. C’est le moment d’investir. Aussitôt mon magasinage commencé, je heurte un mur. Et je ne parle pas ici du choix du modèle. Mon mur est plus que coquet; il fait naître un véritable conflit de valeurs en moi entre les haies de manteaux.
Étant étudiante, mon budget est limité. Je raye donc tout de suite de ma liste les créations, les manteaux technologiques et les marques de renom. Ça élimine presque la moitié du choix offert pour un manteau de qualité, mais j’ai espoir de trouver l’aubaine du siècle. Les parkas sont absolument magnifiques ornés de leurs cols de fourrure; tous gonflés de plumes d’oie, ils sont chauds, c’est certain. Un style indémodable fabriqué au Canada qui respecte mon budget (!!!), je n’y crois presque pas. Je jette un coup d’œil à l’étiquette: col de renard arctique. Euh non! Pas question. Je regarde autour de moi et je ne vois que les cadavres d’animaux zippés sur des poches de plumes d’oiseaux majestueux. Dans ma tête défilent les images cauchemardesques qui ont circulé il y a quelque temps sur les réseaux sociaux. Décidément, y’en aura pas de facile.
Le synthétique est ma nouvelle option. Fausse fourrure, isolant quelconque, ça calme l’amoureuse des animaux qui sommeille en moi. Un autre coup d’œil à l’étiquette, plastique et cie, Made in China. Cette fois, c’est la protectrice de la planète qui s’indigne! Pas fort pour l’environnement, l’alternative anti-cruauté qui ne tue peut-être pas directement un animal, mais qui détruit l’écosystème de plusieurs espèces jusqu’à ce que celles-ci disparaissent. Sans compter l’exploitation des ouvriers qui travaillent pour une poignée de pinottes dans des conditions horribles. Il ne faudrait pas oublier que le charmant manteau souillé de pétrole s’autodétruira d’ici deux hivers, ce qui me poussera à acheter une nouvelle cochonnerie.
Je suis dans une impasse. Ma philo 3 refait surface. Me voilà assise par terre chez La Baie dans la section manteaux à faire une application de la philosophie utilitariste dans le bloc-notes de mon cellulaire. J’accompagne ma réflexion de documentation qui me fait réaliser quelques faits que j’ai omis dans mon calcul.
- Contrairement à la croyance populaire, les animaux d’élevage ne sont pas maltraités; il faut que leur fourrure reste belle.
- Le coyote est une espèce nuisible trop abondante au Canada, tout comme le raton laveur: sa population doit être contrôlée par l’homme.
- Les plumes d’oie sont récupérées dans les élevages destinés à la boucherie
- Il existe de la fourrure recyclée.
- L’exploitation animale est une ressource renouvelable non polluante.
Donc, toujours selon mes calculs, John Stuart Mill achèterait un manteau en plumes d’oie avec de la fourrure de raton-laveur car il s’agit là du meilleur choix pour le bonheur du plus grand nombre.
Malgré tout, je n’ai pas l’esprit tranquille. Incapable de faire un choix, d’ignorer une valeur au profit d’une autre tout aussi importante. Dans un monde idéal presque utopique, je trouverais un manteau rembourré de matières recyclées, sans fourrure, chaud, de qualité et qui respecte mon budget… J’abandonne. Je retourne à la maison enfiler trois couches de vêtements chauds sous ma vielle veste synthétique jusqu’à l’année prochaine en espérant que l’industrie vestimentaire et la mode de 2016 me permettront de me réchauffer sans arrière-goût amer.
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