Y’a des matins où je me réveille avec une gifle au visage. Pourtant, je n’entends personne autour. Les couloirs sont vides, les chambres sont vides, le frigo est vide, les poubelles sont pleines. Y’a personne pour me gifler, c’est la vie qui s’en occupe. Je me fais frapper par mon manque de moi-même, parce que c’est trop difficile de me réveiller avec ma peau sur le dos.
J’ai plutôt l’impression de me blottir au milieu de couvertures en cellophane, comme un gros tas de viande à fondue.
Gelé au centre. Saignant sur les rebords. Suffoquant.
Je devrais aller me faire cuire le steak dans le bouillon de ma douche, mais le courage me manque. Seulement peur d’être cuit à point. Peur de sortir. Peur de me faire bouffer par la grande gueule du monde.
J’ai juste envie d’un bon café froid.
Je me lève, en camisole couleur tache de moutarde sur fond blanc et en boxers beiges du temps qui passe. J’avance dans le grand couloir, mes mains s’ecchymosent contre les murs, j’ai perdu mon équilibre quelque part dans l’appartement.
Ça m’arrive d’être chanceux. Quelques gorgées de café dans la cafetière. Je bois directement à la carafe, parce qu’aucune tasse n’est propre.
Bam! L’envie d’uriner m’uppercut dans le ventre et me fait défriser le chemin du bonheur. Mais il faut que je le fasse ici, debout, au bout du couloir. C’est obligé, un non-sens involontaire, une faiblesse tremblante dans les jambes, une absence qui fragmente tout. C’est mon cœur qui sent le poids du monde, un monde trop lourd pour tenir debout.
J’urine ici, dans mes boxers. C’est chaud, puis de plus en plus froid à mesure que j’avance en pataugeant. J’écrase mon cul météore dans le fauteuil, et le coin du salon devient un trou glacial. Un frisson m’effrite du bout de ses ongles dentelés.
Je pense à toi, tu sais?
La distance commence à me faire du mal. Elle me fait mal à tous les jours, et moi, je m’affaibli devant l’air libre.
Sur la petite table du salon, y’a une lettre que j’ai scellée avec ma langue de mauvaise haleine. Ton adresse est écrite dessus. J’espère que c’est encore la bonne. J’irai la poster un autre jour, parce qu’aujourd’hui, la migraine se défoule à coups de marteau sur mes cheveux enneigés.
La lettre, c’est pour te demander de venir faire un tour à l’appartement. Tu pourrais m’aider à retrouver mon équilibre, qui sait? Viens, qu’on se blottisse dans l’amas de nous-même. Viens, qu’on vienne ensemble, en même temps, pour une dernière fois. Viens, parce que j’ai trop peur de sortir. L’extérieur me donne la nausée, avec les feuilles qui meurent par terre, la foule en sueur dans l’autobus, le hurlement des voitures…
La lettre, c’est pour me souvenir de la première nuit qu’on a passée ici. Dans la chambre, le lit était nu, sans drap ni oreiller. On s’est couché et tes cils se sont mis à pousser. Tes cils poussaient et je me voyais dans tes yeux qui brillaient un peu trop. Deux belles petites billes de verre.
Pour l’instant, je laisse le sang s’écouler dans mes veines. J’attends d’épuiser mes dernières impressions d’espoir. J’essuie les larmes qui tombent sur le papier-lettre.
Y’a des matins où j’aurais besoin que tu me réveilles avec une gifle au visage.