«Je savais pu quoi faire, à ce moment-là, j’me sentais juste dégoûtante… C’était pas ma faute en fait». C’est comme ça qu’elle me l’a racontée. C’est beau être naïve: on se fait croire que nous sommes intouchables, et que nos proches aussi. Et le jour où on y fait face, on rentre dans le mur.
Sur le coup, t’entends dire que chaque année, près de 87 000 Québécoises sont victimes d’agression sexuelle. Viens pas me faire croire que t’as eu une réaction en lisant ça, parce que l’empathie, c’est bien trop rare pour que ça nous affecte. Pis après, tu manges ton spaghetti, ou du moins tu le mangeais, bien peinarde avec ton amie, et t’apprends qu’elle faisait partie de celles-là.
Pendant que tu digères les mots que tu viens d’entendre, t’as beau essayer de dire quelque chose, tu bloques. J’aurais pu sauter dans ses bras en la voyant pleurer, m’excuser, lui offrir de l’aide, mais j’ai rien dit. Je lui ai offert le silence. Comme tout le monde. Je savais que le viol était beaucoup trop présent pendant la Seconde Guerre mondiale et le génocide du Rwanda, mais même si mon amie est une guerrière, on n’ avait pas le droit de lui faire ça.
À 14 ans, on n’a pas le droit de confiner la fille à être une victime. On n’a pas le droit de jouer sur son identité, pour la rendre aussi plate qu’un objet de la rue sur lequel tout le monde piétine. On n’a pas le droit de lui faire croire que faire l’amour peut être aussi cruel, et que l’amour peut l’être aussi. On n’a pas le droit de prendre son cri pour une jouissance, ni son «non» pour un défi de plus. N’importe quelle fille a un vagin, comme n’importe quel homme a un pénis, mais ce n’est pas n’importe quel pénis qui va dans n’importe quel vagin, compris? Le train dans le tunnel, on disait ça quand on était enfant, mais on n’a pas le droit de dire que c’est un jouet. Le corps a un nom telle la femme en a un, alors respectons-le.
Ce n’est pas normal qu’on donne le statut de victime à quelqu’un pour la vie. Je vois combien tu souffres ma belle. Aujourd’hui, je comprends que j’ai fait l’erreur à ne pas faire, et j’essaie de me reprendre, car le silence n’a pas sa place dans ces trucs-là. Je t’entends me dire que t’as honte et que t’as peur, puis ça sonne en écho, parce que t’es pas seule. Quand je te disais qu’il y en avait 87 000, je me trompais, parce qu’on ne t’avait pas compté dans celles-là et on avait également omis de compter toutes celles qui ne l’ont jamais dit. Sois forte, et crie-le.
Je t’imagine déjà lire cet article et tu vas me détester. Je t’avais promis que ça resterait entre toi et moi, mais je te vois mourir par en-dedans à force de te noyer dans tes larmes et j’ai mal. Ce qui me fait aussi mal, c’est que j’entends ces cris que l’on empêche de faire vibrer, qui laissent place à un silence sournois, parce qu’encore aujourd’hui en 2015, c’est récurrent, mais c’est tabou. Tout le monde reste en silence; les victimes, les violeurs et les témoins.
Alors j’ai choisi de briser le silence.
Statistique: Regroupement québécois des CALACS
Photo: We Heart It