À tous ceux qui m’ont quittée en cours de route, à tous ceux que j’ai quittés en cours de route,
Je regarde nos vieilles photos, celles où l’on rit bras dessus, bras dessous. Celles où nos yeux brillent d’allégresse. Celles où notre naïveté est tellement frappante qu’elle aurait pu fracasser l’objectif de la caméra.
«Merci d’être dans ma vie», se disait-on.
«Que ferais-je sans toi? », nous interrogions-nous.
Les jours, les mois, les années se sont écoulés et à cette question, j’ai désormais une réponse. Sans toi, la vie continue. Le vide que tu as laissé a été rempli par quelqu’un d’autre.
Il y a 365 jours, je savais ce que tu avais mangé pour déjeuner. Je connaissais tes plus grands rêves. Tu me tenais au courant de tes histoires de cœur épineuses. J’étais ta confidente, celle qui te ramassait à la p’tite cuillère quand t’avais le cœur en mille morceaux.
Et toi, tu faisais la même chose pour moi. On n’avait plus de secret l’un pour l’autre.
Aujourd’hui, 365 jours plus tard, je suis incapable de dire tu fous quoi de ta vie, incapable de dire comment tu as rencontré l’amour et encore moins ce que tu as mangé pour déjeuner.
On s’est totalement perdus de vue.
Du jour au lendemain, plus de textos, plus d’appels, rien. Bref, plus de nouvelles.
«How strange-to be strangers again.»
On est autant coupables l’un que l’autre d’avoir jeté, consciemment ou non, notre amitié dans les profondeurs de l’oubli.
C’est lorsque je regarde ces vieux albums photo que je réalise à quel point tu me manques. À quel point notre amitié était précieuse à mes yeux.
Parfois, j’ai envie de plonger dans ce profond gouffre, celui dans lequel sont séquestrés nos belles années, nos meilleurs moments, nos liens brisés, pour reprendre ma place à tes côtés.
Mais l’orgueil me retient.
L’orgueil, ce sentiment qui refoule nos plus fortes envies.
Ce sentiment qui anéantit tant de relations.
Ce sentiment qu’on devrait parfois ravaler, alors que la dignité nous serre si fort. Notre fierté enroule ses forts bras autour de notre poitrine et ne nous laisse pas partir, ne nous laisse point chavirer dans ce qui pourrait s’avérer être une marrée de rejets et de regrets.
Alors, on ne fait rien. On laisse le temps panser nos blessures. On laisse d’autres gens faire leur entrée dans nos vies en espérant qu’ils aient autant d’effet sur nous que cette personne qui est partie ou qu’on a laissé partir en a eu. Comme si c’était possible. Comme si on était tous facilement remplaçables…
C’est absurde.
À notre époque, les gens sont outrés de constater que les mariages ne durent plus. Que les couples ne s’efforcent plus à tenir leur flamme en vie lorsque la moindre brise la fait vaciller. Qu’ils renoncent rapidement à l’amour en sachant que quelqu’un de «mieux» viendra leur tendre la main.
Or, aussitôt qu’il s’agit d’amitié, il semble acceptable de faire une croix sur un ami pour une déraisonnable raison : un message mal compris, un triangle amoureux, une amitié négligée…
Ami infidèle, ami malhonnête. Ami absent, ami hypocrite. On ne prend même plus la peine de s’expliquer avant de rejeter.
La logique humaine est parfois exaspérante.
À tous ceux qui m’ont quittée en cours de route, à tous ceux que j’ai quittés en cours de route,
Mes souvenirs se résument désormais à des photos, à des textos, à des fragments de ma personnalité.
Les gens entrent dans nos vies et en ressortent, parfois trop rapidement, en laissant leur trace. Mais au bout du chemin, qui restera-t-il auprès de nous ?
Photo : Coralie Boisvert-Doyon