J’aurais peut-être dû compter les moutons ce soir-là, pour m’endormir. Mais j’étais enlisée par les mots. «Enliser», c’est faire du sur place, être stagné. Un peu comme quand tu prends le bord du chemin dans le fossé, mais dans mon cas, c’était plus comme une cloison qui empêchait mon raisonnement de s’élucider.
Ça fait qu’en d’autres mots, je me posais 1000 et une question. Pas une de moins. Sur la définition du mot «heureuse». La mienne. Ça a donné ce qu’on appelle de l’insomnie.
Ce soir-là, le mot «heureuse» ne voulait pas dormir. Il divaguait dans les plus grandes artères de mon cerveau, entre l’hémisphère gauche et l’hémisphère droit, entre les lobes frontaux, pariétaux et temporaux. Je n’ai peut-être pas la formation d’un neurologue, mais je peux confirmer que le sommeil ne faisait pas partie du voyage cérébral.
Sache que ledit voyage peut s’avérer long quand on ne connaît pas le chemin, parce que j’ai jamais eu le sens de l’orientation, t’sais quand t’as toujours pensé qu’une boussole, c’était le nom d’un tatouage que les filles portent.
«Heureuse», c’est l’exemple que ma prof de français avait pris pour expliquer les mots qui commencent par un h non aspiré, que l’on dit aussi muet. C’est le mot que mon oncle avait utilisé en me souhaitant une bonne année, en même temps que de me parler de ses résolutions qu’il ne tiendra pas et qui le rendront supposément heureux. Pis c’est le mot que mon ex a employé quand il m’a laissé, parce qu’il voulait que je sois heureuse sans lui, qu’il disait.
Revenons à nos moutons. T’sais ceux que j’aurais dû compter au début. C’est quoi ça être «heureuse»? Ça a l’air beau quand les gens le disent. Est-ce une expression métaphorique, littéraire, égocentrique, utopique ou juste une expression capitaliste?
Dans le dictionnaire, ça a l’air de parler de bonheur. C’est tu le même bonheur que chante Pharrell Williams ou plus comme Le p’tit bonheur de Félix Leclerc? Ça a l’air beau quand ils le chantent. Mais moi je sais pas chanter.
J’ai vu le regard des gens, perplexe, incompréhensif… Comme si cette question ne se posait pas. Comme si c’était d’une évidence forcée ou d’une idiotie palpable. Sauf que quand ils me répondaient, ça ne se ressemblait jamais, voir même qu’ils se contredisaient tout la gang. Ils me parlaient de musique, de famille, d’amitié, d’amour, de neige, pis tantôt de nourriture.
Au fond, quand on me souhaitait d’être heureuse, on voulait peut-être juste me souhaiter le bonheur au quotidien. Peut-être qu’il n’y a pas de définition parfaite pour ce mot-là finalement, parce que tout le monde en a une différente. Peut-être que c’est de regarder la tempête de neige d’un air souriant ou d’avoir les étoiles dans les yeux quand on rencontre l’amitié et les papillons dans le ventre quand on rencontre l’amour. Peut-être même que c’est d’avoir la passion dans l’âme et la vie dans le coeur.
Parce que j’imagine qu’à la base, tout commence par le cœur, quand ça fait boom boom vite vite chaque jour et qu’il te fait aimer la vie comme elle se présente.
Peut-être qu’ils avaient pas tort : c’est un mot muet dont personne connait véritablement le signe, sauf qu’il est beau quand on le connaît, pis j’espère bien le connaître encore cette année.
Peut-être que finalement être «heureuse», c’est de ne pas se poser de questions. J’aurais juste dû compter les moutons, parce que j’avais besoin de rêver à demain.
J’ai fini par dormir, pis je viens de me réveiller, avec le sourire. Heureuse, parce qu’il neige. Simple de même.
Photo : WeHeartIt