À mon moi de 40 ans,
J’essaie de t’imaginer physiquement, de construire tes courbes, de dessiner les traits de ton visage vieilli par le temps. Et tes cheveux, les teindras-tu ou les laisseras-tu trahir ton âge gris?
Peut-être m’en voudras-tu d’imaginer que la vieillesse aura pris d’assaut ton corps quarantenaire. En fait, je te souhaite de m’en vouloir et de pouvoir me prouver que tu es restée jeune.
Seulement, ce n’est pas la jeunesse de ton physique qui m’importe, mais bien celle de la personne que tu es devenue.
Souviens-toi de ces nombreuses folies où, à l’âge où je t’écris, tu as dit : «Anyway, ce sera pu grave à 40 ans!». Souviens-toi de la candeur qui t’habitait à cette époque. Tu n’étais qu’une âme en construction, un esprit qui rêvait d’être libre.
Soulève ton chandail et regarde sur tes côtes droites. Tu vois ce qui y est gravé?
«Free spirits will find their way»
Ferme tes yeux, rappelle-toi ce moment où ta merveilleuse amie et toi avez prononcé ces paroles et ressens leur profonde signification. Je prie pour que tu ne souhaites pas que je te raconte le moment en question à la suite de ce paragraphe, parce que je ne le ferai pas.
Si tu n’arrives pas à te le remémorer et que tu regrettes cette encre permanente marquée sur ta peau, c’est que tu as perdu. Parce que ces mots sont la base de ce qui te rend unique, peut-être même marginale, ici, maintenant, dans l’instant même où je t’écris.
Ils représentent l’entièreté de ton ouverture d’esprit, de ton idéalisation de la planète, de ton rêve d’être citoyenne du monde.
Ils définissent la base de ton désir de vivre l’aventure plutôt que de coller au moule sociétal dans lequel on nait prisonnier.
Ils alimentent ta compassion universelle, ta révolte contre l’injustice mondiale et ta volonté de faire une différence, ne serait-ce que dans la vie d’une seule personne.
Que penses-tu de ces arbres lourdement enneigés et d’un blanc pur qui brillent à la suite d’une tempête? Arrives-tu en retard au travail parce que tu t’es arrêtée quelques minutes de trop pour les admirer comme tu avais l’habitude de le faire avant tes cours?
Le pouvoir de la contemplation, de l’émerveillement… Ces termes te parlent-ils toujours?
Je me demande à quelle vitesse défile le train de ta vie. À l’âge où je t’écris, tu t’es donnée comme défi de le ralentir, voir même de l’arrêter un peu plus souvent. Tu tentes d’abandonner le contrôle pour le laisser prendre le rail qu’il préfère. Y es-tu parvenue ou a-t-il eu raison de ton combat?
À mon moi de 40 ans,
J’espère que tu liras ces lignes en ayant en tête autant de paysages admirés qu’il y a de caractères dans ce texte.
Autant de fous rires accumulés que le nombre d’étoiles visibles dans le bras de la Voie Lactée.
Autant de cultures découvertes que de larmes versées à cœur ouvert.
Autant d’aventures vécues que de visages croisés sur ton chemin.
Autant de pays déchiffrés que le nombre de folies improvisées durant ta jeunesse, c’est-à-dire jamais trop.
Et si jamais, à la suite de ces mots, tu as le malheur de te dire «Mon dieu que c’était beau, la naïveté de 18 ans…», je t’en supplie, arrête-toi. Regarde le monde qui t’entoure et prends le temps de te perdre dans son environnement, dans sa nature, dans ses regards, dans son énergie, dans ses connections.
Tu ne sauras que mieux t’y retrouver.
Photo et montage : Eve-Marie Fournier