« Je me dis qu’un jour ça va passer, qu’un jour je ne penserai plus à ça, mais la vérité c’est que tu me hantes; la vérité c’est que je ne suis plus capable de fonctionner; la vérité c’est que je ne suis plus la même », a écrit la jeune survivante de 18 ans, Alexia, dans une lettre destinée à son agresseur.
Selon le Ministère de la Sécurité publique, près de 90 % des agressions sexuelles ne sont pas déclarées à la police. Sur les 10 % des femmes qui portent plainte, 3 % d’entre elles ont recours à la justice. C’est le cas d’Alexia (nom fictif), qui a haussé sa voix au nom des victimes qui vivent dans le silence et dans la peur de dénoncer. « Alors que j’étais intoxiquée, il m’a dit qu’il s’était occupé de moi, raconte-t-elle, la voix tremblante. C’est seulement le lendemain matin que j’ai réalisé, alors que j’étais toute nue dans son lit et que je ne me rappelais de rien, qu’il m’avait violée. »
Le processus judiciaire qu’implique une plainte dans un cas d’agression sexuelle est excessivement long et douloureux pour les victimes, qui portent les mythes et les jugements de la société sur leurs épaules. « C’est extrêmement difficile de faire une plainte car c’est interminable, relate la survivante. Il faut que tout le monde te croie pour qu’il se passe quelque chose. »
Marie (nom fictif), une jeune femme de 21 ans qui a mis son demi-frère derrière les barreaux a vécu la peur commune des victimes : de ne pas être crue par ses proches. « Du haut de mes 13 ans, mes parents ne me croyaient pas. Ils disaient que c’était une erreur de jeunesse et que ce n’était pas plus grave que ça. Ils m’ont dit de laisser faire, mais ça ne fonctionne malheureusement pas comme ça », dit-elle.
L’hypersexualisation et l’objectivation du corps de la femme contribuent aussi à alimenter la culture du viol. « Ça m’a tellement choquée, car la première chose qu’on m’a demandé en contre-interrogatoire, c’était qu’est-ce que je portais cette soirée-là », s’indigne Alexia, victime de ces préjugés sociétaux. Sa solution initiale aura été de vivre dans le déni pour fuir la douleur. « Je faisais la fête continuellement et j’ai couché avec des gens comme je ne l’avais jamais fait avant, j’étais devenue quelqu’un d’autre. J’essayais de me nettoyer de lui », confie-t-elle, secouée de sanglots.
Des blessures qui pèsent lourd
Les agressions sexuelles, en plus d’être tabous, laissent des séquelles permanentes aux victimes, autant au niveau de la sexualité, des relations interpersonnelles que de la confiance en soi. « Je n’arrive pas à me respecter. Après les abus, c’est normal pour moi d’être utilisée par un gars », explique Marie, qui souffre d’un stress post-traumatique depuis les évènements. Le vaginisme, un processus psychophysiologique complexe qui cause d’intenses douleurs lors de l’acte sexuel, fait aussi partie des conséquences que subit la survivante.
Selon les témoignages de victimes au fil du temps, la culpabilité est inévitable. « Je ne suis pas capable de ne pas culpabiliser même si je sais que ce qui m’est arrivé n’est pas de ma faute, avoue la victime de 18 ans. Je n’ai jamais eu autant de haine envers quelqu’un, et je me suis beaucoup haï pour ça. »
Responsabiliser les agresseurs, déresponsabiliser les victimes
« Il a été prouvé qu’une infime portion des plaintes sont non-fondées, comme quoi le préjugé que les femmes dénoncent sans raison ou pour se venger est véhiculé à tort », explique l’intervenante à La Maison Isa, un centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS), Christine Audet. Selon elle, la violence sexuelle n’est pas une problématique individuelle, mais plutôt sociale. « Si on apprend aux jeunes c’est quoi la notion de consentement et d’une relation saine, c’est quoi le respect entre les hommes et les femmes, on risque d’avoir une incidence sur la société », déclare l’intervenante.

Un pas de plus vers la sensibilisation
« En tant que femme et en tant qu’intervenante, j’entends des choses horribles et je constate plein d’injustices, confie Christine Audet. Avec #MeToo, il s’est passé quelque chose d’historique et ça a vraiment fait du bien de ressentir la solidarité. » Le mouvement de dénonciation, qui exprime la souffrance que vivent les hommes et les femmes victimes d’agression sexuelle, permet de donner une voix à la cause depuis 2017.
« Avant, j’en voulais aux autres filles de ne pas dénoncer; aujourd’hui, je comprends à quel point c’est difficile de porter plainte. J’espère sincèrement que mon histoire pourra aider d’autres personnes », conclue Alexia, comptant poursuivre son rêve de devenir actrice. Du côté de Marie, elle se relève tranquillement. « À la petite fille que j’étais, je lui dirais de ne pas se sentir coupable, révèle-t-elle. Si je n’avais pas dénoncé, je ne serais probablement pas là aujourd’hui. »