Lorsqu’on parle d’amour, c’est absolument non qualifiable ou quantifiable.
Le verbe aimer est probablement le plus salaud qu’on pourra retrouver dans un Bescherelle.
Aimer une fille et aimer les roses sont deux amours diamétralement opposés.
Pourtant, c’est le même verbe, tous deux à l’infinitif.
Quand on s’y attarde un peu, n’est-ce pas d’une incompréhensibilité aberrante?
Peu importe à quel point on aimera une chose particulière, le verbe ne changera jamais.
Toujours aussi impassible, il aura toujours la même définition dans le dictionnaire.
Même si la définition, elle, ne sera jamais la même dans notre cœur.
J’ai toujours eu énormément de difficultés à écrire sur le sujet.
Comme preuve, ça doit bien être la 14e ou 15e fois que j’efface et réécris ces lignes.
Je n’aime pas écrire sur le sujet.
Comment rendre justice à un sentiment qui nécessite bien plus que des mots?
D’une délicatesse rare et d’une exactitude infiniment inexacte, l’amour est quelque chose, simplement quelque chose.
Mais malheureusement, être quelque chose peut parfois être d’une complexité assourdissante.
On aime parce qu’on aime.
C’est simple, non?
On aime parce qu’on aime.
Il y a là une confusion et une simplicité transcendantes.
Je me souviendrai toujours de cette première fois, cette première fois où cette confusion majestueuse et cette simplicité sournoise m’ont frappé.
Laissez-moi vous raconter une petite anecdote qui m’est bien chère.
Le contexte est des plus banals.
Troisième secondaire, cours de français, on entame un nouveau thème, celui de la poésie.
« Quel. Sujet. Palpitant. »
Que j’me disais alors avec une dose savoureuse de sarcasme.
Aujourd’hui, vous comprendrez que cette ironie a depuis fort longtemps quitté cette phrase.
La poésie, c’est un joyau de l’humanité.
Et quoi de mieux pour expérimenter ce monde fascinant que d’écouter, analyser et jaser d’un groupe mythique, un groupe qui représente bien plus que ce qu’il est véritablement.
Les Colocs.
Évidemment, c’est leur dernier album, Dehors novembre, qui se prête le mieux à l’exercice.
Donc, du haut de mes 14 ans, je faisais la découverte de chefs d’œuvres comme Dehors novembre ou Le Répondeur.
Et c’est précisément cette dernière chanson, cette complainte criante d’amertume qui nous intéresse ici.
Bon, tout le monde a déjà écouté Le Répondeur, tout le monde sait aussi que cette composition n’est ni plus ni moins qu’un grand appel à l’aide d’André Fortin.
Cet homme alors en détresse nous a laissé un bijou poétique d’une qualité sans nom.
C’est parmi les lignes de cette grandiose mélodie que se cache l’investigateur de bien des choses pour moi.
L’amour des mots, l’obsession de l’exactitude et mon côté romantique quelque peu affirmé proviennent en partie d’un couplet précis de cette chanson mélancoliquement belle…
« J’y ai jamais dit je t’aime tout court
J’rajoute toujours quequ’chose après
C’comme ça qu’on voit si on est en amour
Je t’aime beaucoup ça fait moins vrai »
Simple et complexe à la fois, ce couplet veut tout dire tout en restant avare de précisions.
À première vue, ça peut sembler totalement incohérent.
Pourquoi ajouter un adjectif diminuerait-il de quelconque façon la grandeur que l’on veut donner à notre amour?
Simplement, lorsqu’il s’agit d’amour, vous le savez, ce n’est pas toujours cohérent.
User d’adjectifs spectaculaires pour donner du poids à un amour déjà pesant est un exercice désuet.
Comme si, par incertitude ou par peur, nous voulions rajouter quelque chose après le verbe aimer pour nous prouver que cet amour est réel, vrai.
Mais comme je l’ai dit, l’amour est d’une simplicité et d’une complexité désarmantes.
Alors, pourquoi vouloir démêler les fils amoureux en supplémentant d’autres mots à cette définition déjà si touffue de sens?
Allégeons ce noble fardeau de ces mots si lourds, éclairons notre lanterne pour tenter d’y voir un peu plus clair dans notre cœur.
Quand on regarde cette fameuse personne dans le fond des yeux, qu’on lui dit ces tendres mots, rien n’est plus exact que dans ce moment précis.
Le reste? Un sacré bordel.
Finalement… ce ne sont pas les émotions qui sont compliquées, mais bien les mots.
Première phrase du texte, l’amour est « absolument non qualifiable ou quantifiable. »
Le verbe aimer est expressément compliqué, on a en plus décidé de placer les pronoms « je » et « te » devant.
Grossière erreur! Depuis ce temps, rien ne cause plus de tourments que ces trois petits mots.
L’émotion est si simple, mais on la transforme en un charabia incompréhensible avec des mots.
Alors, pourquoi s’efforcer de joncher le plus beau cadeau que s’est vu offrir l’humanité de « beaucoup », « tellement » ou de « à la folie » ?
C’est inutile.
Pour exprimer l’immensité de cette émotion, on ajoute toujours et toujours des mots.
Les mots pleuvent comme les attentions matérielles tandis que le besoin incessant d’en faire une démonstration publique constante est placé sur un piédestal.
C’est inutile.
Le seul fait de se servir courageusement de ce verbe prouve déjà l’immensité de sa valeur.
On pourrait continuer de verbaliser nos émotions, de faire de longues phrases compliquées, de faire de la Saint-Valentin une priorité grandissante et de mesurer la véracité de l’amour par le nombre de baisers, d’accolades et de « je t’aime » dans une journée.
C’est inutile.
C’est parfois dans la simplicité que se cache le plus grand des messages.
Un simple « je t’aime », ça, c’est utile.