Petit à petit, elle se faufile dans votre vie, elle bouscule votre quotidien et s’attaque à ce que vous avez de plus précieux : votre cerveau. L’Alzheimer précoce prend les commandes et peu à peu vos connaissances se trouvent atteintes d’un trouble neurocognitif. Sitôt le bouton d’alerte enclenché, la maladie vous oblige à passer en mode urgence de vivre. Comment vivre avec cette idée en permanence au-dessus de la tête ?
« À chaque fois que j’oublie, un oubli quotidien, je me demande si c’est la maladie ou pas. Chaque oubli est doublement préoccupant, chaque oubli stupide, je me demande si c’est la maladie, mais c’est devenu mon quotidien, beaucoup plus embarrassant. Chaque fois que j’ai une perte de mémoire, je la remarque, autant moi que les autres », se confie la mère de famille Véronique Gauvin (nom fictif).
« À chaque fois que j’oublie, un oubli quotidien, je me demande si c’est la maladie ou pas […] »
À 37 ans, elle vient d’apprendre qu’elle est atteinte d’une forme rare, précoce et héréditaire de la maladie d’Alzheimer. La même qui a emporté sa mère à l’âge de 42 ans et plusieurs autres membres de sa famille. Porteuse d’une mutation de la préséniline 1 (PSEN1), un gène qui selon La Société Alzheimer de Québec est une forme dominante de l’Alzheimer, Véronique représente une infime partie de la population touchée par cette maladie.
« Dans de rares cas, voire chez 3% à 4% des gens, elle peut commencer dans la quarantaine et il y a des cas documentés dans la trentaine et la vingtaine, mais c’est unique et ces gens ont tendance à décliner plus vite », mentionne le professeur titulaire de l’école de psychologie de l’Université de Laval et spécialiste de l’Alzheimer précoce, Carol Hudon.
Lorsque la maladie d’Alzheimer est diagnostiquée, l’espérance de vie moyenne d’une personne atteinte est de cinq à sept ans. Toute famille qui connaît son gène porteur peut effectuer un test auprès d’un spécialiste afin de savoir si son ADN le transporte.
« Avant les tests, nous avons demandé mon pourcentage de chances d’avoir la maladie. Si les spécialistes m’avaient dit que j’avais 60% des chances de l’avoir, à ce point, j’avais 40% des chances de m’en passer, cependant, c’est officiel à 99%. On a préféré le savoir parce que notre vie est maintenant différente », affirme Véronique Gauvin.
Mère de quatre jeunes enfants, ceux-ci ont tous 50 % de risques d’être porteurs du gène.
Regard sur le futur
« Je ne veux pas leur en parler, mes enfants sont encore trop jeunes. Ma plus vieille n’a que sept ans. Lorsqu’elle commencera à se rendre compte, par exemple, que j’ai oublié à quelques reprises de lui mettre des choses dans sa boîte à lunch, ce sera une autre étape », admet Véronique Gauvin, dans le bureau de l’entreprise familiale où nous sommes pour éviter que les enfants entendent.
Pour le moment, le temps de qualité est devenu une nécessité au sein de la famille. Afin de rendre sa vie optimale, Véronique fait tout ce qui lui plait, et ce, sans délai.
« Ma vie a changé dans le sens qu’on voyage plus. Mon amoureux prend les congés sans hésiter, parce qu’il le sait maintenant… », souligne Véronique.
L’adaptation et la planification sont également devenues deux mots très importants pour la mère de famille.
« Nous avons commencé à organiser le futur. De ce fait, nous allons engager une nounou qui se déplacera entre notre maison et celles du frère et de la sœur de mon conjoint. Lorsqu’ on remarquera une dégénérescence chez moi, la nounou connaîtra déjà nos enfants et notre fonctionnement », souffle Véronique dans un élan de pleurs.
Travailler, un remède ?
Pour laisser de côté les pensées constamment liées à la maladie, la jeune femme continue de travailler. Enseignante, elle compte sur ses collègues pour lui donner le « STOP » lorsque l’évolution sera trop grande.
« Mes collègues de travail et le directeur de l’institution pour lequel je travaille sont avertis. Étant donné que je m’occupe d’enfants, quand je ne serai plus apte à m’occuper moi-même de ma santé mentale et que j’oublierai, ils me le diront », mentionne l’enseignante.
Afin de profiter de sa vie pleinement tout en travaillant, elle pourra bénéficier des journées pédagogiques pour rester chez elle avec sa famille.
« Un jour à la fois »
« Plusieurs recherches sont effectuées actuellement, mais aucune n’est convaincante. Toutefois, ils existent des médicaments qui permettent de stabiliser la maladie pour à peu près trois ans, mais après il n’y a malheureusement plus rien à faire », affirme le neurologue, Robert Laforce.
Prochainement, Véronique compte débuter les démarches du processus de l’aide médical à mourir. Son notaire étant déjà rencontré, elle devra écrire une lettre confirmant son choix tous les mois, et ce, jusqu’à la perte totale de ses fonctions.
« Je fais la demande, mais je sais que mon copain ne veut pas. C’est lui qui aura le mandat de signer la lettre qui confirme mon processus de fin de vie. Même si ce n’est pas mon choix et qu’il décide de me garder en vie, si ça peut l’aider à faire son deuil, je vais comprendre… », chuchote la mère de famille en pleurs.
« […] Même si ce n’est pas mon choix et qu’il décide de me garder en vie, si ça peut l’aider à faire son deuil, je vais comprendre… »
Au cours de leur vie, certaines personnes sont confrontées à des questions existentielles. Quant à l’avenir, ils n’en savent rien. Vivre pleinement le moment présent en accomplissant toutes les tâches qui s’y rattachent leur permettent d’apprécier la vie et les richesses qu’elle leur offre, pour ainsi oublier la maladie le temps d’un instant.