Il y a 10 ans, la boulangerie et pâtisserie Bec Sucré ouvrait ses portes au cœur du petit centre-ville de St-Basile le Grand. Aujourd’hui, l’endroit est devenu un emblème multiculturel de la ville. De St-Hubert à New-York, les créations de Maria Eugenia Coedo en font rêver plus d’un.
Les cloches accrochées devant la porte d’entrée annoncent notre arrivée dans cet endroit où les sourires et les délices les plus exquis cohabitent. L’odeur des croissants chauds mélangée au sucré des mille et une sortes de pâtisseries nous accueille à plein nez. La décoration de la pièce représente bien l’ensemble des cultures qui ont marqué les propriétaires avant qu’ils choisissent le Québec comme maison.
Vêtu de son ensemble de cuisto et chapeauté de son éternelle toque Santiago, le mari de Maria sert les clients tout en berçant leur nouveau bébé, James. En cuisine, Maria supervise son équipe composée de ses deux filles et de quelques fidèles employés. C’est avec un café à la main, autour d’une table de travail, qu’elle raconte son récit et l’histoire de son commerce. « J’ai construit mon endroit. Je ne trouvais pas de place que j’aimais travailler et qui vendait ce que moi j’aime. J’ai créé quelque chose de nouveau ici », débute-t-elle dans un anglais parsemé d’espagnol.
L’histoire de Maria
Maria Eugenia Coedo a grandi en Argentine, mais elle a toujours su que son destin se trouvait ailleurs. Petite fille d’immigrants espagnols, elle ne s’est jamais sentie « à sa place » en Argentine. « Je ne ressemble pas physiquement aux Argentins et j’ai des valeurs différentes », explique-t-elle.
L’idée de devenir pâtissière lui est venue lors d’un voyage alors qu’elle avait 8 ans. « Je suis allée à Disney World, je m’en rappelle encore. Je suis allée à Epcot, où il y a tous les pays, et je tenais la main de mon père lorsque j’ai vu une pâtisserie française. J’ai regardé mon père et je lui ai dit, « papa, je veux avoir une pâtisserie », se souvient Maria les yeux pétillants. Pour faire plaisir à sa famille, elle a étudié l’architecture pendant quelques années, bien qu’elle n’avait pas oublié son rêve d’enfance. « Ça prenait beaucoup de temps faire les maquettes, donc j’étais celle qui apportait beaucoup de nourriture et ils faisaient les maquettes pour moi », se remémore-t-elle en riant en cascade.
Après avoir obtenu son diplôme de cheffe internationale en hôtellerie, Maria a mis le cap sur les États-Unis avec son mari, Santiago. « On s’est mariés à 21 ou 22 ans et on a déménagé directement après aux États. J’ai eu mes deux filles là-bas, on a acheté une maison et tout », explique-t-elle. En raison de la complexité de l’immigration aux États-Unis, la famille est retournée vivre en Argentine. Le couple a alors ouvert un restaurant sur les rives de la plage. « C’était une belle vie, mais en Argentine il y a beaucoup de problèmes financiers, donc même si tu es bon dans ce que tu fais, tu ne vas jamais être capable de gagner assez d’argent avec ton talent pour être capable de bien vivre ou voyager », exprime Maria.
« C’était une belle vie, mais en Argentine il y a beaucoup de problèmes financiers, donc même si tu es bon dans ce que tu fais, tu ne vas jamais être capable de gagner assez d’argent avec ton talent pour être capable de bien vivre ou voyager »
Cette période d’attente entre les États-Unis et le Canada a été très stressante et déprimante pour elle. Depuis sa jeunesse, Maria menait un combat contre l’anorexie. Retourner en Argentine proche de sa mère qui vivait elle aussi avec l’anorexie a empiré les choses. « Travailler en restauration et combattre l’anorexie, c’était une forme de contrôle pour moi. C’était comme : ‘’Regardez-moi! Je travaille parmi toutes ces pâtisseries et je peux avoir l’air de ça’’. Aujourd’hui, c’est quelque chose que je suis fière d’avoir combattu et d’avoir gagné », explique Maria. Immigrer au Québec lui a permis de reprendre le contrôle. Un deuxième souffle a mimé Maria. Le décès subit de sa mère des suites d’une maladie qui a été aggravée par son anorexie pendant la pandémie l’a beaucoup touché, tout comme sa famille. « On ne peut pas laisser son histoire se répéter », a laissé tomber doucement Maria.
Son rêve devenu réalité
Après deux ans en Argentine, Maria, son mari, leurs deux filles et leur chat ont immigré au Québec. « C’était comme je l’avais imaginé. J’adore les montagnes et courir. J’adore tout ici », raconte Maria. Après avoir vécu à Longueuil, la famille a emménagé dans une maison à St-Basile le Grand et a ouvert Bec Sucré. C’était l’endroit parfait pour installer la pâtisserie de rêve de Maria. « Quand j’ai ouvert, j’étais plus gênée. Je faisais seulement des recettes qui étaient françaises juste au cas où, mais lentement et continuellement, j’ai ajouté des recettes différentes », explique Maria. « Nos croissants, au début, on les donnait pour que les clients goûtent. Une fois qu’ils les goûtaient, ils devenaient accros instantanément », se remémore-t-elle en riant. Aujourd’hui, sa recette unique de croissant a traversé les frontières du Québec et du Canada. « Pour des célébrations avec leur famille, il y a des gens qui achètent des croissants et d’autres choses et ils les apportent à Toronto. Après ça, on a des clients de Toronto qui viennent nous voir. On a même quelqu’un de New-York qui est venu ici ! », explique Avril, l’aînée de Maria, elle-même impressionnée par l’ampleur qu’a pris le commerce de ses parents. Bec Sucré s’est aussi fait connaitre grâce au bouche à oreille à travers la région de la Montérégie. « On a des dames régulières qui viennent à chaque semaine, à chaque samedi de St-Hubert et Montréal » explique Sarah, la plus jeune fille de Maria.
Une histoire de famille
Les deux filles de Maria, Avril et Sarah, travaillent dans le commerce familial depuis ses débuts. La plus vieille, Avril, a débuté à la caisse avec son père et sa plus jeune sœur a suivi sa mère aux fourneaux. Pour les deux filles, Bec Sucré leur ont permis d’apprendre sur leur culture, de la partager avec d’autres, mais surtout de se construire une famille au Québec. « Il y a une cliente qui s’appelle Martha et elle, tous les jours, elle prend une biscotti et un café et elle boit dans la pâtisserie. C’est comme une grand-mère pour nous. Je ne sais pas si elle le sait », dit Avril en riant. « On dit toujours que la famille c’est plus dans le sang. Tu choisis ta famille et c’est souvent nos clients comme Martha, qui est rendue notre grand-mère, ou une autre madame anglophone qui s’appelle Mandy, elle c’est comme une tante pour nous », renchérit Sarah. Sur un des présentoirs dans le commerce, on peut apercevoir un pot rempli de biscottis étiquetés « Martha’s Biscotti », soit les biscottis de Martha en français.
Avant la pandémie, Maria envisageait d’ouvrir un deuxième Bec Sucré à Mont St-Hilaire, où la famille réside maintenant. « Là-bas, il n’y a rien. Il y a une boulangerie qui est ouverte seulement quelques jours par semaine », explique Maria. L’incertitude qui planait sur les commerces à cause des mesures sanitaires ainsi que l’augmentation des demandes dans le commerce de St-Basile, l’ont convaincue d’attendre avant d’agrandir la famille Bec Sucré. Ce qui ne l’a pas empêchée pour autant d’agrandir sa famille du même coup. Le petit James est arrivé par surprise pour Maria et son mari Santiago, mais le couple avait toujours souhaité avoir une grande famille. « J’ai toujours rêvé d’avoir quatre enfants, mais après tous ces changements de pays, je ne pouvais pas avoir des enfants pendant », explique Maria. « Quand je suis tombée enceinte, ils (les clients) m’ont donné beaucoup de cadeaux. J’ai reçu quatre poussettes différentes, des vêtements, des cartes cadeaux, … Pour sa première année, je n’ai pas eu besoin de lui acheter de vêtements. C’est cadeaux par-dessus cadeaux, par-dessus cadeaux, c’est magnifique », raconte Maria, très reconnaissante de sa clientèle. « Je n’ai pas de famille ici pour le moment, c’est seulement eux », ajoute-elle, comme ses deux plus grandes filles.
Seulement le commencement
Pendant la pandémie, le chiffre d’affaires du commerce a explosé. Étant considéré comme « essentiel » parce qu’ils offraient du pain, Maria a eu la chance de pouvoir garder sa boutique ouverte. De longues files se sont créées devant le commerce, que des clients qui attendaient impatiemment de pouvoir se procurer des croissants et toutes autres pâtisseries et boulangeries de Maria. Toute la famille a mis la main à la pâte pour subvenir à la demande. Cette période a inspiré Sarah, la plus jeune fille de Maria, à poursuivre l’idée d’agrandir Bec Sucré, lancée par sa mère. « Mon idée principale en allant étudier en commerce au cégep c’est de prendre ici (Bec sucrée) et d’en faire un empire. Je veux expandre au Québec pis dans tout le Canada, parce que je pense qu’il n’y en a pas beaucoup de franchises de pâtisserie pis je pense que nos produits sont les meilleurs », a-t-elle expliqué avec aplomb. Une chose est certaine, la boulangerie et pâtisserie Bec Sucré a fait beaucoup de chemin depuis son ouverture il y 10 ans, mais son voyage ne fait que commencer.